Les maîtres fous, de Jean Rouch - 1957
C'est un documentaire très éclairant sur le rapport des hommes au divin. Rien d'occidental là-dedans. Les dieux ne sont pas exemplaires - ils ne sont que parties d'un monde, éléments, incarnations de l'Histoire, périodes. Ils effraient et soumettent les humains, lesquels s'en moquent en les représentant. Il y a quelque chose, dans le rapport des humains aux dieux, de notre rapport aux hommes politiques. Une forme d'ironie, de mise à mort permanente par le spectacle.
Et ce qui est superbe, dans Les maîtres fous, et révélateur d'un art cinématographique d'une sagesse infinie, c'est la fin : après le rite de possession, on voit les possédés le lendemain, sans bave aux lèvres, dans leur quotidien. Jean Rouch lève le sortilège aussi pour le spectateur. Et la possession n'est plus un spectacle, plus seulement impressionnante, mais elle devient un temps très particulier, une question, logée dans l'existence. On peut alors l'affronter plutôt que la subir comme quelque chose d'impensable : on peut commencer à la penser.
Tourou et Bitti, les tambours d'avant, de Jean Rouch - 1972
C'est un essai de cinéma ethnographique à la première personne. Il s'agit, selon Jean Rouch, d'être "à la fois présent et invisible". Le documentaire prend la forme d'un plan-séquence. Son sujet est un rituel de possession.
Il ne s'est rien passé depuis quatre heures. Personne ne s'est "transformé". Personne n'est entré en transe.
Le plan-séquence n'est pas un hasard. Il provoque le hasard, mais il n'en est pas un. Il est un acte fort, d'observation et de participation. Rouch espère, en faisant entrer la caméra dans le lieu du rituel, provoquer la possession (ou du moins y participer).
Le temps est celui d'une bobine, dix minutes à peine. C'est très peu, et en même temps très risqué. La transe pourrait naître à la toute fin, et alors Rouch aurait tout raté. Ou bien elle pourrait naître entre deux bobines, et le plan-séquence n'aurait alors aucun intérêt.
Il entre dans le village. Il approche des danseurs. Rien ne se passe. Les musiciens s'arrêtent même de jouer. Mais Rouch continue de filmer. Alors la transe commence. C'est le moment exact où il fallait filmer. Petit miracle de cinéma. Si bien qu'on assiste, non seulement au rituel, mais surtout à la transformation des hommes en mythes, dans le temps-même du film. Comme si le film avait participé à ce qui s'était passé là (ce qui est, me semble-t-il, la position documentaire la plus juste).
Puis Rouch s'éloigne, pour voir ce que les enfants voyaient de la cérémonie depuis la place de l'école, et c'est la fin du film. La fin, c'est le point de vue de l'enfant - autrement dit le point de vue du spectateur occidental, qui ne sait rien, qui se tient un peu loin, mais auquel on peut tout apprendre (on retrouvera ce point de vue de l'enfant dans La chasse au lion à l'arc). C'est aussi un geste de retrait, de mise à distance.
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