C'est très compliqué d'être. Et plus que la question, ce qui importe, c'est la complexité de la réponse, sa multiplicité.
C'est tellement compliqué que pour dire ce que c'est, qu'être, Joao Pedro Rodrigues use de tous les artifices : maquillages, costumes, chansons, nuits américaines, vraies nuits, travellings ultra-lents, filtres rouges, plans qui traversent des matières indiscernables déformant le sujet... Et ces artifices ne sont pas utilisés pour leurs effets spectaculaires (la plupart du temps, on laisse les costumes au vestiaire, et pour ce qui est du changement de sexe, c'est raté, on n'est pas chez Chéreau ni chez Almodovar, où tout le monde devient une star ou devient beau). Les artifices sont là seulement pour être subvertis, anéantis.
Tout ce long chemin de retrait avant d'atteindre le coeur du propos peut paraître épuisant. Mais le cinéaste touche à une telle vérité, à une telle sagesse, qu'on finit par oublier les temps faibles et comprendre les égarements.
Mourir comme un homme est un film difforme, long, sans unité, excentrique-décentré, avec des comédiens toujours un peu à côté et des scènes ratées, moitié soupe moitié nanar. C'est un mélange d'images kitsch, bressonniennes, weerasethakuliennes, télévisuelles, contemplatives, narratives, hypercadrées, complètement floues, pâles et saturées, et parfois tout ça en un seul plan. Ca ne ressemble à rien. De temps en temps on voit l'artifice, de temps en temps il nous impressionne, de temps en temps on ne comprend rien - ça n'a, à vrai dire, aucune importance. L'artifice est le sujet même du film. Mourir comme un homme est un essai de difformité - déformation - transformation - subversion - pourrissement - ascèse - tout ça à la fois.
Au début, on ne sait pas ce qui se passe. Il y a des hommes dans une forêt, des militaires, on ne sait pas ce qu'ils font là, ils sont en mission, en repérages ou en exercice, peu importe. On ne s'attend pas à ce qu'ils s'embrassent. Et encore moins à ce qu'ils se tuent. Mais ils le font. Et entretemps par la fenêtre d'une maison ils auront vu un homme déguisé en femme.
On les oublie. En fait, on ne les oublie pas vraiment. Ils sont là, comme à l'origine du film, comme la découverte d'un monde où tout le monde est travesti, où tout le monde se pose absolument la question de ce qu'il est. Ils planent sur les images, comme nous, spectateurs, tenus à distance, mais fascinés. Si bien que quand le scénario raccorde cette première séquence à son déroulement global, on est un peu déçu. On a l'impression qu'on nous explique quelque chose qu'on avait compris autrement mais qui était bien mieux. Mais très vite, cette "explication" (le film en est plein, jusqu'à rendre l'intrigue exsangue, nulle et non avenue) se retourne, devenant pure féérie. On se retrouve comme à l'envers du film, observant les spectateurs que nous étions au début. On vit là, dans cette maison dans les bois, on écoute des poèmes allemands et une chanson sublime que chante la lune qui roussit, avec les chiens errants, les hommes-femmes et leurs amants. (Calvary, la chanson : rien que ça.) Un sentiment survient, étrange, mêlé d'enfance et de sagesse ancestrale.
A partir de là, tout le scénario se désamorce - tout le pathos (parfois purulent) éclate, et il ne reste plus qu'un homme sans histoire, vraiment très seul, vraiment incertain d'être, à la fois hors et dans son costume, multiplié, seule façon d'être, mort et vivant, les deux.
Le film l'a accompagné jusqu'à ce point où les chansons qu'il chantera ne duperont plus personne, pas même lui, mais résonneront, bien au-delà de ce qu'il est ou voudrait être. L'image s'est changée en saudade. C'est plutôt extraordinaire.
C'est tellement compliqué que pour dire ce que c'est, qu'être, Joao Pedro Rodrigues use de tous les artifices : maquillages, costumes, chansons, nuits américaines, vraies nuits, travellings ultra-lents, filtres rouges, plans qui traversent des matières indiscernables déformant le sujet... Et ces artifices ne sont pas utilisés pour leurs effets spectaculaires (la plupart du temps, on laisse les costumes au vestiaire, et pour ce qui est du changement de sexe, c'est raté, on n'est pas chez Chéreau ni chez Almodovar, où tout le monde devient une star ou devient beau). Les artifices sont là seulement pour être subvertis, anéantis.
Tout ce long chemin de retrait avant d'atteindre le coeur du propos peut paraître épuisant. Mais le cinéaste touche à une telle vérité, à une telle sagesse, qu'on finit par oublier les temps faibles et comprendre les égarements.
Mourir comme un homme est un film difforme, long, sans unité, excentrique-décentré, avec des comédiens toujours un peu à côté et des scènes ratées, moitié soupe moitié nanar. C'est un mélange d'images kitsch, bressonniennes, weerasethakuliennes, télévisuelles, contemplatives, narratives, hypercadrées, complètement floues, pâles et saturées, et parfois tout ça en un seul plan. Ca ne ressemble à rien. De temps en temps on voit l'artifice, de temps en temps il nous impressionne, de temps en temps on ne comprend rien - ça n'a, à vrai dire, aucune importance. L'artifice est le sujet même du film. Mourir comme un homme est un essai de difformité - déformation - transformation - subversion - pourrissement - ascèse - tout ça à la fois.
Au début, on ne sait pas ce qui se passe. Il y a des hommes dans une forêt, des militaires, on ne sait pas ce qu'ils font là, ils sont en mission, en repérages ou en exercice, peu importe. On ne s'attend pas à ce qu'ils s'embrassent. Et encore moins à ce qu'ils se tuent. Mais ils le font. Et entretemps par la fenêtre d'une maison ils auront vu un homme déguisé en femme.
On les oublie. En fait, on ne les oublie pas vraiment. Ils sont là, comme à l'origine du film, comme la découverte d'un monde où tout le monde est travesti, où tout le monde se pose absolument la question de ce qu'il est. Ils planent sur les images, comme nous, spectateurs, tenus à distance, mais fascinés. Si bien que quand le scénario raccorde cette première séquence à son déroulement global, on est un peu déçu. On a l'impression qu'on nous explique quelque chose qu'on avait compris autrement mais qui était bien mieux. Mais très vite, cette "explication" (le film en est plein, jusqu'à rendre l'intrigue exsangue, nulle et non avenue) se retourne, devenant pure féérie. On se retrouve comme à l'envers du film, observant les spectateurs que nous étions au début. On vit là, dans cette maison dans les bois, on écoute des poèmes allemands et une chanson sublime que chante la lune qui roussit, avec les chiens errants, les hommes-femmes et leurs amants. (Calvary, la chanson : rien que ça.) Un sentiment survient, étrange, mêlé d'enfance et de sagesse ancestrale.
A partir de là, tout le scénario se désamorce - tout le pathos (parfois purulent) éclate, et il ne reste plus qu'un homme sans histoire, vraiment très seul, vraiment incertain d'être, à la fois hors et dans son costume, multiplié, seule façon d'être, mort et vivant, les deux.
Le film l'a accompagné jusqu'à ce point où les chansons qu'il chantera ne duperont plus personne, pas même lui, mais résonneront, bien au-delà de ce qu'il est ou voudrait être. L'image s'est changée en saudade. C'est plutôt extraordinaire.
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