Si le film tombe parfois dans le piège d'une positive-attitude qui sonne comme un mot d'ordre (mais Valérie Donzelli a justement l'humour du mot d'ordre, c'est-à-dire une façon de mettre en scène le couple, la famille et les amis comme une tribu en guerre), il atteint aussi, par éclats, une forme assez rare de joie, voire de puissance d'être au monde. Plutôt qu'à un drame, c'est à un parcours initiatique que nous assistons, presque un épisode biblique : le mot 'miracle' est d'ailleurs prononcé, et s'incarne à l'image un soir de réveillon dans une chambre d'hôpital où une bouteille de champagne apparaît.
Cette épreuve à laquelle les personnages sont confrontés, permet aussi à ceux-ci d'atteindre une plénitude, une connaissance plus juste du monde - et, je dirais, une connaissance plus juste de leur Royaume intérieur (on peut penser au titre du film précédent de Valérie Donzelli, La Reine des Pommes), comme dans cette scène où Roméo et Juliette, sur une estrade, annoncent à leur famille et à leurs amis que l'opération a réussi. Cette annonce suscite chez les personnes informées une explosion de joie, mais ils s'embrassent sans pour autant rejoindre le Roi et la Reine, séparés par un champ/contre-champ et une certaine hauteur. C'est que ce Royaume est devenu intérieur. Roméo et Juliette l'ont trouvé, conquis, et dominé. Tout ce qui se trouvait autour d'eux est à présent en eux, et ils en disposent. La Reine alors s'évanouit : l'épreuve est immense et même la joie accable, parce qu'on ne sait pas à quoi elle tient, parce qu'elle est peut-être plus divine que rationnelle.
La guerre est déclarée est donc un film allant contre ce mensonge bergmanien qui veut qu'on ne s'aime pas, qu'il n'y ait jamais eu d'amour, et qu'il n'y ait plus rien à faire contre cela - déclaration de mépris et de défaite, à laquelle le film ne souscrit pas, au contraire tout-amour et tout-guerrier quelque soit la situation. Son postulat est fort : même séparés, Roméo et Juliette s'aimeront éternellement. Et comme cette chose, dans le cinéma européen, voire mondial, est plutôt inédite (La guerre est déclarée est non seulement anti-bergmanien, mais aussi anti-tout ce qui s'en rapproche : La chambre du fils de Nanni Moretti, Son frère de Patrice Chéreau, et même 21grammes d'Inarritu - anti-Duras également, chantre de La douleur, dont l'influence est tenace), forcément, il s'effondre par moments, s'offrant quelques facilités. Mais (et c'est assez paradoxal) il ne triche pas - ou triche cent fois moins que Bergman et ses héritiers contrits et fascinés par la contrition.
Ces facilités, on peut les inventorier, il n'y en a que deux :
- une tendance au clip, qui vient abolir le temps et ne dit rien de l'épreuve du temps ;
- un raccourci final sur les deux dernières années de guerre, où il nous est dit que Roméo et Juliette se séparent, mais où il ne nous est rien montré de cette séparation. Ca n'empêche pas la joie d'advenir, mais ça banalise l'amour, l'épreuve traversée, et la vérité de la séparation qui leur a été révélée (peut-être trop intime - il n'y a d'ailleurs pas de scène de sexe dans le film - peut-être trop long aussi, car alors il aurait fallu deux heures supplémentaires pour prendre en compte cette donnée nouvelle, qui est la réalité du couple Donzelli/Elkaïm, mais qui dans ce récit sonne un peu faux).
La guerre est déclarée est un credo, presque une profession de foi : la gravité n'a pas lieu d'être ; l'humour et la légèreté n'empêchent pas le courage, n'empêchent pas d'être absolument Hommes. Les faux problèmes sont évincés les uns après les autres, à l'instar de cette scène où Roméo arrive en retard pour voir son fils, et où Juliette, plutôt que de le lui reprocher, lui annonce la mort d'un autre enfant à l'hôpital et se vexe de son absence de réaction. Le problème est immédiatement résolu par une discussion qui remet les choses au clair : le problème n'est pas la mort de cet autre enfant mais le retard de Roméo, et Roméo peut expliquer la raison de son retard - puissances conjointes du verbe et de l'intelligence qui la déploie, lesquelles mettent l'Homme à nu, sans le drame dont il se vêt par lâcheté trop souvent, préférant se faire énigme plutôt que de se présenter tel qu'il est. La guerre est déclarée dit : tout peut se résoudre, dès lors que la véritable énigme est posée.
Ainsi le film ne cesse de se recentrer : Paris ou Marseille, lui ou elle (l'enfant de toute façon), la fête ou les larmes (les deux). Il rejette toute exagération (bouffonnerie légère ou inquiétude démesurée) sans les esquiver, en les sentant très proches autour de lui, et en les traversant parfois.
L'autre grand tabou du cinéma français que ce film fait tomber, c'est la question du milieu (quoi de plus logique pour un film centré ?). Il n'y aucune culpabilité sociale ni aucune légitimation du même ordre : les héros ne font pas appel au monde, mais à eux-mêmes, à ce qu'ils sont en eux-mêmes, à ce qu'ils y trouvent. Leur rapport au monde peut sembler d'abord assez emblématique d'une génération : hermétique à la souffrance des autres, et plutôt opportuniste ("je veux le meilleur chirurgien, je connais des gens qui..."). C'est que ce rapport n'obéit à aucune ligne de conduite, ne considère que l'instant et la chose la plus juste à penser et à faire sur l'instant. Les personnages sont dés-idéologisés - non au sens où ils seraient déçus ou ignorants, mais plutôt au sens où ils tenteraient, vis-à-vis du fric notamment, d'exercer leur pleine et entière conscience intérieure sur ce qu'il y a de mieux à faire. Dirigés par rien d'autre qu'eux-mêmes - aussi Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm font-ils leurs propres films : politique d'indépendance assumée.
Bref, c'est un film beau et profond et drôle et émouvant et à mille lieues de ce qu'est devenu le cinéma d'auteur, et ça ressemble à la vie, à une vie vécue.
jeudi 1 septembre 2011
La guerre est déclarée - Valérie Donzelli
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8 commentaires:
Tout cela est très juste et met les mots qui conviennent sur pas mal d'émotions ressentis lors du visionnement du film. Hélas, l'emploi abusif de la voix off (pourquoi faut-il toujours tout expliquer au spectateur) contrarie par moments la force du cinéma de Valérie Donzelli.
C'est drôle parce que je n'ai pas été gêné par la voix-off. Ce que je n'aime pas, ce que j'aurais aimé couper, c'est la chanson (et encore, ça passe mieux que chez Christophe Honoré), et la course de Juliette dans le couloir de l'hôpital façon je me cogne contre les murs.
Pareil qu'Eric, je m'y retrouve bien dans ce texte.
Toujours un plaisir de vous lire !
(je souscris également à la remarque sur la chanson qui passe mieux que dans Honoré, scène qui flirte avec une forme de romantisme un peu datée et un peu mièvre que Donzelli parvient admirablement à bousculer dans le reste du film. Même réserve pour la scène de la fin sur la plage, on est pas loin de tomber dans le cliché, mais tout le film marche comme ça, sur un fil, sans jamais perdre tout à fait son équilibre)
Exactement ! La plage, ça pourrait être un truc terrible, on a vu ça 187698720197842649848 fois au cinéma, d'ailleurs on l'a déjà vu dans ce même film pendant la séquence marseillaise, et pourtant quelque chose prend. A vrai dire, c'est un film qui a tout les défauts possibles, mais qui à mon sens invente un ton.
C'est exactement ce que vous dites : on ne compte plus les défauts (clip, collages et ruptures en tous genres, tendance à la pose) mais, on ne sait comment, tout se tient et forme un ensemble parfaitement émouvant...
Je me raccorde avec la tonalité générale de ce(s) commentaire(s) (même si je tient Christophe Honoré comme un cinéaste autrement plus accompli et mature que Donzelli, passons...) et pourtant je ne parviens pas à m'extraire d'un sentiment mitigé (avec une pointe d'agacement concernant le style maniéré de mise en scène).
Ce film pourrait donc être rapproché avec "Les invasions barbares" de Denys Arcand, non ?
Je n'ai pas vu Les invasions barbares.
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