mercredi 7 janvier 2009

Encounters at the end of the world - Werner Herzog



Ce sont toujours les mêmes questions (l'homme et la nature, l'existence singulière, la limite du monde et celle de l'Humanité). Ca se passe cette fois-ci en Antarctique, où Herzog a un ami musicien et plongeur.
On y voit :
- d'incroyables plans sous-marins sous la glace, des bêtes monstrueuses aux couleurs vives, des coquillages avec des dents, des vers avec des ongles ;
- une base américaine dégueulasse où vivent six mois par an quelques doux dingues extraordinaires (une femme ayant traversé les continents américains dans un tuyau de canalisation, et performant sur la scène du bar de la base un show hilarant où elle se transforme en sac à main ; un linguiste dont les recherches ont été détruites par une bande d'universitaires new-age, et venu en Antarctique, sur un continent sans langue, pour cultiver des tomates ; un prisonnier du bloc de l'Est qui s'est évadé, et qui transporte toujours avec lui un sac contenant tout ce qu'il faut pour de nouveau s'évader ; un ancien banquier qui en a eu marre de l'argent et qui conduit désormais le plus gros bus du monde ; un biologiste qui effectue sa dernière plongée avant de prendre sa retraite, visiblement très ému, bouleversé, mais sûr de ne pas pouvoir aller plus loin dans ses recherches) ;
- un concert sans spectateur hormis la caméra de Herzog, entre une mer gelée et un cirque de montagnes, moment splendide, divin ;
- des hommes avec des seaux sur la tête se préparant pour une expédition dans le brouillard ;
- une comédie magique avec quelques pingouins, l'un d'eux est devenu fou, et au lieu de rejoindre la mer, il court vers les montagnes.
Le film a la forme simple d'un voyage, accumulatif, compilatoire, mais toujours intense, que ce soit dans les moments où le monde semble répondre très clairement aux questionnements du cinéaste, ou dans les moments où au contraire tout paraît absurde et sans joie. Il y a toujours quelque chose à voir - que ce soit le néant ou l'absolu.
L'impression est alors évidente : nous entrons en dialogue avec un univers sans humanité, et percevons, dans cet étrange échange, le terme du règne humain, et la fragilité essentielle de cette vie présente.

5 commentaires:

fayçal a bentahar a dit…

Bon... fallait-bien le dire un jour, nous voici: Merci, merci infiniment. Vos textes sont toujours très pertinents, très intéréssants. Ainsi que vos goûts écléctiques (mais bien accordés, regard travaillé).
Il y aurait tant à dire sur chacun des cinéastes et des films que vous abordez, ils invoquent tous un vaste et complexe univers... tant dfe choses à soulever...
Mai vous allez m'excuser, je préfère me limiter à vous lire. C'est une forme de conversation bien digne.
Amitiés

Anonyme a dit…

Ce film, c'est une fiction ou un documentaire. Telle que tu la décris, la galerie de doux dingues qui peuple le film me paraît tout droit sortie de l'imagination d'Harmony Korine, à l'oeuvre dans cette interview :

http://www.lemonde.fr/cinema/article/2008/12/16/harmony-korine-j-ai-traine-avec-des-putes-des-macs_1131773_3476.html

(sinon, en lien sur mon nom, ça devrait mieux marcher).

Harmony Korine, d'ailleurs bien meilleur en interview qu'à la réalisation, lui qui se rêve peut-être en descendant d'Herzog, mais a quand même du mal à tutoyer son mentor.

asketoner a dit…

Merci beaucoup Fayçal. Je vous invite bien sûr à dialoguer dès que vous le désirez.

Joachim : Korine fait un cinéma tellement fabriqué, tellement chic. A chaque fois que je vois un de ses films, j'ai l'impression qu'il me suce le sang. Il y a chez lui si peu d'intensité sous-tendant l'image. J'ai l'impression d'un gamin ivre qu'on doit soutenir à la sortie d'un bar pour ne pas qu'il tombe. Ses films demandent de l'aide. C'est terrifiant.
Rien à voir avec la générosité de Herzog, avec son cinéma impulsif et pas du tout chichiteux. Herzog part à la rencontre (et peut-être trafique-t-il, mais tant mieux - les mensonges de Treadwell dans Grizzly Man ne sont pas jugés, ils sont simplement dits comme un élément supplémentaire, et pas un élément clef, de sa personnalité), Korine dispose des petites figurines dans des maisons playmobil pleines de crack. Herzog semble l'avoir élu pour fils de cinéma, mais ça ne regarde que lui - de toute façon, Herzog n'aime pas trop les films des autres.
Merci pour ce lien tout cas, j'y retrouve la bravade korinienne, le ton tape-à-l'oeil auquel il m'a accoutumé, qui en font le charme et la limite immédiate.
C'est troublant, également, de voir que cette porosité entre fiction et documentaire autour de laquelle nous nous extasions tous aujourd'hui (Je veux voir en est le dernier bel exemple), a été amorcée depuis trente ans par Herzog (Les nains aussi ont commencé petit, Pays du silence et de l'obscurité). Je me demande si ce n'est pas pour cette raison qu'il redevient à la mode.

Anonyme a dit…

Bonjour, j'ai vu le herzog "Encounters..." aujourd'hui et le film, à mon sens, ressemble à un énorme canular, une sorte de contre proposition sur le documentaire animalier (herzog le dit ouvertement et l'interview avec le spécialiste sur les mœurs sexuelles des pingouins, ou sur leurs coups de folie est édifiante !) et sur le documentaire scientifique (sous une apparence très scientifique, avec un vocabulaire spécifique, on apprend en réalité très peu des volcanologues ou des glaciologues). Le moment le plus cocasse et le plus ouvertement fictionnel est la blague autour du scientifique glaciologue amateur de sf qui projette THEM à son équipe tout en rêvant à des créatures aquatiques dignes de lovecraft, prêtes à démembrer d'une pichenette le moindre humain à la ronde. Reste que l'ironie (il y en a chez herzog, surtout dans ce film) alliée à l'humour pince sans rire ou aux blagues de potache, créé quelque chose de très incertain pour nous et met à distance ce qui nous est présenté, en le vidant de tout contenu documentaire. La station antarctique est montrée sous l'angle du parc d'attraction pour scientifiques excentriques, post hippies, mystiques éclairés ou soirées estudiantines le vendredi ou samedi soir en Cité U. On peut facilement reprocher au réalisateur d'avoir la main un peu lourde, au point de tomber dans la farce ou la carricature, et surtout, le fait qu'il ne retienne uniquement que les situations ou les entretiens les plus "pittoresques", "bloeuffés" ou non, au risque d'illustrer les pires clichés ou lieux communs. On est pas loin de l'image d'épinal ou du fantasme populaire que pourrait alimenter une telle mission (un lot de barges, de déracinés, de doux dingues excentriques...). Herzog refuse l'étiquette documentaire (surtout l'idée d'un cinéma direct ou cinéma vérité qu'impliquerait le genre) mais en même temps il réalise quelque chose de très étrange, qui adopte la forme documentaire en l'alliant à une forme spectaculaire ouvertement sensationnelle, avec une voix off omniprésente de commentateur misanthrope ou moqueur (la fin de l'espèce humaine est irrémédiable), tout en se permettant des moments très lyriques soutenus par des prises de vues soignées voire très esthétisantes. L'omniprésence du son est problématique car elle leste des images qui se soutiennent par elles-mêmes, sans avoir besoin d'être épaulées par une emphase d'opéra, d'autant plus qu'Herzog en interviewant des résidents, nous montre bien que la singularité du lieu, tient à l'absence inquiétante de bruit : un silence qui provoque même des insomnies chez les scientifiques. Il y a donc beaucoup de directions dans ce "documentaire", "mockudocumentaire" comme dirait certains et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne sait pas bien qu'elle est la position d'herzog face à son matériau, et nous-mêmes, on ne sait pas comment il nous faut prendre ce film. Vu qu'il s'agissait (apparemment) d'une commande, on peut se demander comment le film a été reçu, une fois le pingouin livré. Un drôle d'animal en somme. pour un pied de nez, c'est tout de même un peu luxueux. Cela fait la singularité du film, sa richesse, mais aussi sa grande ambiguïté et pour tout dire, quelque part, sa limite. Mais peut-être qu'après tout, j'avais un peu trop trempé mon museau dans la mayonnaise avant de courir à Bb (c'était à 14h30). En tout cas, même si j'ai survolé tes comptes rendus, ça été avec un vrai plaisir. Pour ma part, j'avoue ne pas trop adhérer à cette partie de la filmographie de Herzog, quand il se fait trop ouvertement sentencieux et ironique. Je préfère les documentaires plus en retrait et plus sobres, de la soufrière à petit dieter et consorts, que je trouvent bien plus convaincants et aboutis.

Grégory, cinomane

asketoner a dit…

Bonjour Grégory,
à la réflexion, je préfère aussi les documentaires plus simples du réalisateur. Mais je ne crois pas seulement à un 'mauvais coup', ou à une moquerie. Je crois au contraire à une utopie sans cesse contredite, et sans cesse réactualisée. Une utopie, ou une joie. Encounters m'est apparu comme quelque chose de plus vivifiant qu'édifiant.