dimanche 8 janvier 2012

Les acacias - Pablo Giorgelli - Las acacias

On peut parler de film symptôme. Un camionneur Argentin bourru dont-on-ne-sait-rien-mais-on-se-doute-bien-qu’il-lui-manque-un-truc (pas la parole, non, la tendresse) prend en stop une Uruguayenne pauvre-mais-gentille rejoignant le reste de sa famille émigrée à Buenos Aires (pas des dealers de crack, non, parce que le crack ça n’existe pas et la famille ça compte – d’ailleurs, si la pauvrette ouvre la boîte à gant du chauffeur, ce n’est pas pour chercher du blé, mais des photos qui diront ce qu’il ne cesse de taire). Cette Uruguayenne ne serait-elle pas porteuse de la tendresse qui manque tant à l’Argentin ? On voit le programme. Sous ses allures de film minimaliste, Les acacias est en fait un mélo nouvelle génération divertissant l’élite : la dégaine d’un film pauvre et le cerveau d’un film débile, drôle comme un long-métrage de Jean-Marie Straub et profond comme une scène avec Julia Roberts.

Le film a beaucoup plu à la critique, qui, faute de s’être rassemblée derrière Intouchables, a préféré se réfugier derrière la nouvelle vague argentine pour se permettre d’aligner les banalités dont elle est parfois capable (banalités qu’on peut lire, rassemblées, dans les étoiles des critiques d’allociné, sur la page du film). Danièle Heymann, lyrique, presque fiévreuse, écrit dans Marianne : « On va connaître trois êtres humains qui ne nous sont rien, qu'on va aimer pour ce qu'ils sont, pour ce qu'ils donnent, sans dire grand-chose, sur une route qui ne finit jamais, qu'on aimerait ne jamais voir finir. » Le mot « humanité », décliné sous toutes ses formes, revient souvent, comme au Journal du Dimanche, sous la plume de Pierre Lacomme : « C'est un film modeste comme tout mais pétri d'humanité. (...) L'émotion au bout de la route. » Alain Spira, dans Paris Match, utilise carrément le terme d’ « essence » : « Un objet cinématographique d'une essence rare. » Les acacias ont donc été perçus comme détenteurs d’un message quasi-sacré, venu nous révéler à nous-mêmes, ce que Marie-Noëlle Tranchant, pour Le Figaroscope, a bien noté : « C'est d'une simplicité biblique, avec des éclairages et une bande-son raffinés. Et si l'on s'ennuie quelquefois, l'ennui est d'or, comme la caméra d'or qui salua ce premier film de l'Argentin Pablo Giorgelli. » La fameuse vertu de l’ennui, on la retrouve donc, ressuscitée, en 2012.

Comment se manifeste la tendresse au cinéma, et par quels signes ce message sacré (all you need is love, not beans) s’incarne-t-il ? Par les larmes d’abord. L’actrice ne pleure qu’en gros plan, et sans raison apparente, ce qui dit bien comme les racines de la douleur sont profondes. De même, l’acteur est du genre mutique, et son silence est le signe d’un lourd secret porté bravement depuis des années, mais que la rencontre fera éclater. Par l’enfant ensuite, on le sait depuis Chaplin et son Kid. Rien de tel qu’un marmot pénible et baveur pour émouvoir une salle remplie de cinéphiles (comprendre, par cinéphiles, sexagénaires férus de world-cinéma). Dans Le miroir, de Jafar Panahi, la gamine était ouvertement chiante, pas attendrissante, elle suscitait plus le désir d’une gifle que celui d’un gros bisou. Dans Les acacias, c’est lorsque le bébé-gros-bisou suce le doigt du chauffeur que ce dernier comprend ce qu’est l’amour – venait-il de se gratter les fesses avant, l’histoire ne le dit pas. Elle, trop modeste, lui, trop résigné, aucun des deux ne peut parler de ce qu’il éprouve : heureusement, l’enfant est là comme (unique) sujet de conversation. Il n’y a presque pas de dialogue dans ce film, mais le problème est qu’il y en a quand même. Un exemple : « tu aimes les chiens ? / oui / moi aussi ». Le subterfuge de l’enfant n’est en effet pas toujours suffisant, il y a aussi celui du chien, et Giorgelli ne se refuse rien : alors que l’homme et la femme sont assis au bord d’un lac, un chien s’immisce entre eux, que l’homme caresse en souriant. La femme regarde l’homme caresser le chien, et sourit à son tour. Contre-champ : l’homme et la femme de dos, au bord du lac, séparés par le chien de l’amour. Vient alors le fameux dialogue : « tu aimes les chiens ? / oui / moi aussi », mais, world-cinéma oblige, pas de musique, c’est plus chic.

Au fait, qu’est-ce que l’amour ? Le film, biblique donc, le dit : la rencontre de deux souffrances. Elle a un enfant mais pas de père pour lui, il a été père mais n’a pas vu son enfant depuis huit ans. Miracle, ça colle. Il voit en sa future épouse la bonne mère qu’elle est déjà, il est rassuré, il peut s’ouvrir à elle, être gentil, même si elle est une sale immigrée. La déposant chez ses parents, tantes, oncles, cousins, nièces et sœurs, il se rendra bien compte de ce qui lui a toujours manqué : qu’en arrivant, le chien de l’amour lui saute au visage et lui lèche les joues, que ce chien en soit un, ou qu’il ait la forme d’une tribu humaine très soudée.

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