Escape from Alcatraz est, comme son modèle évident, Un condamné à mort s'est échappé de Robert Bresson, un film d'action qui porte toute notre attention, non sur le résultat révélé d'emblée par le titre, mais sur l'ensemble des moyens mis en oeuvre pour parvenir à sa fin. L'action, plutôt que le résultat, ce pourrait être une formule politique, c'est en tout cas la politique de ce cinéma-là.
Qu'est-ce qui diffère, alors, entre Bresson et Siegel ? Hollywood est la réponse la plus nette. Mais Hollywood au beau et bon sens du terme, Hollywood romanesque, Hollywood des personnages tous porteurs d'une histoire et d'une philosophie de vie. Exit les modèles bressoniens, place aux héros complexes avançant à coeur ouvert dans les dédales d'un monde qui se referme sur eux comme le destin auquel ils échappent méticuleusement - les personnages se referment sur le destin avant que le destin ne les broie.
Des personnages : l'artiste-peintre auquel on confisque son pinceau et qui préfère se trancher les doigts plutôt que de continuer à vivre sans peindre, le Noir qui ne cesse de mettre en jeu dans le dialogue le rapport de classes raciales, l'homme qui au dernier moment manque de courage, celui qui a élevé un rat, et Clint Eastwood, le dur-à-cuire qui fait son entrée nu dans la prison, intimidant plus qu'intimidé, assumant tout ce qu'il est possible d'assumer, soit sa nudité, son racisme, son intelligence, son hétérosexualité, son obstination, sa certitude de ne pas pouvoir rester prisonnier. Sortir de la machine carcérale - sortir de la machine-monde - et disparaître : vivant ou mort, on ne saura pas, ça ne nous regarde plus, le héros nous a échappé, a échappé au film qui fait le jeu de la machine à briser des hommes.
On pense, en voyant ce film, à une idée de l'amitié. A ce qu'est l'amitié pour Don Siegel : quelque chose d'un peu étrange, pas forcément doux, où chacun doit assumer entièrement ses choix. Dans Tuez Charley Varrick, le héros se sert de la mort de son ami pour se sortir du bourbier dans lequel il l'a précipité. C'est que l'amitié est conditionnelle : un lieu commun entre deux individualités qui feront tout pour survivre indépendamment l'une de l'autre. L'homme qui, dans L'évadé d'Alcatraz, au dernier moment renonce à s'enfuir, puis reprend courage et veut rattraper les autres, s'aperçoit qu'il est trop tard : il fallait être là à temps, personne ne l'a attendu. Cette dureté du lien entre les hommes est une notion qui semble fondamentale chez Don Siegel, et c'est aussi ce qu'il y a de plus troublant dans ses films, de moins conforme et de plus singulier. C'est là que gronde le romantisme sombre de ses films : on peut mourir d'aimer, on peut tuer la femme qu'on aime, on peut laisser mourir l'ami, car il faut avant tout sauver sa peau, et cette peau, ceux qui disent aimer la corrompent tôt ou tard, ou la mettent en danger. Quand l'ami, ou l'amour, fait partie de la machine-monde, alors il faut lutter contre lui comme contre le monde, avec la même violence. Il y a, chez le héros siegelien, quelque chose qui refuse absolument de se résoudre.
Qu'est-ce qui diffère, alors, entre Bresson et Siegel ? Hollywood est la réponse la plus nette. Mais Hollywood au beau et bon sens du terme, Hollywood romanesque, Hollywood des personnages tous porteurs d'une histoire et d'une philosophie de vie. Exit les modèles bressoniens, place aux héros complexes avançant à coeur ouvert dans les dédales d'un monde qui se referme sur eux comme le destin auquel ils échappent méticuleusement - les personnages se referment sur le destin avant que le destin ne les broie.
Des personnages : l'artiste-peintre auquel on confisque son pinceau et qui préfère se trancher les doigts plutôt que de continuer à vivre sans peindre, le Noir qui ne cesse de mettre en jeu dans le dialogue le rapport de classes raciales, l'homme qui au dernier moment manque de courage, celui qui a élevé un rat, et Clint Eastwood, le dur-à-cuire qui fait son entrée nu dans la prison, intimidant plus qu'intimidé, assumant tout ce qu'il est possible d'assumer, soit sa nudité, son racisme, son intelligence, son hétérosexualité, son obstination, sa certitude de ne pas pouvoir rester prisonnier. Sortir de la machine carcérale - sortir de la machine-monde - et disparaître : vivant ou mort, on ne saura pas, ça ne nous regarde plus, le héros nous a échappé, a échappé au film qui fait le jeu de la machine à briser des hommes.
On pense, en voyant ce film, à une idée de l'amitié. A ce qu'est l'amitié pour Don Siegel : quelque chose d'un peu étrange, pas forcément doux, où chacun doit assumer entièrement ses choix. Dans Tuez Charley Varrick, le héros se sert de la mort de son ami pour se sortir du bourbier dans lequel il l'a précipité. C'est que l'amitié est conditionnelle : un lieu commun entre deux individualités qui feront tout pour survivre indépendamment l'une de l'autre. L'homme qui, dans L'évadé d'Alcatraz, au dernier moment renonce à s'enfuir, puis reprend courage et veut rattraper les autres, s'aperçoit qu'il est trop tard : il fallait être là à temps, personne ne l'a attendu. Cette dureté du lien entre les hommes est une notion qui semble fondamentale chez Don Siegel, et c'est aussi ce qu'il y a de plus troublant dans ses films, de moins conforme et de plus singulier. C'est là que gronde le romantisme sombre de ses films : on peut mourir d'aimer, on peut tuer la femme qu'on aime, on peut laisser mourir l'ami, car il faut avant tout sauver sa peau, et cette peau, ceux qui disent aimer la corrompent tôt ou tard, ou la mettent en danger. Quand l'ami, ou l'amour, fait partie de la machine-monde, alors il faut lutter contre lui comme contre le monde, avec la même violence. Il y a, chez le héros siegelien, quelque chose qui refuse absolument de se résoudre.
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