samedi 22 octobre 2011

Hors Satan - Bruno Dumont

A ce film, je vois trois influences majeures : Bresson, Dreyer, Pasolini.
Bresson pour L'argent - c'est le très beau plan qui ouvre le film, d'une main qui tape à une porte, de la porte qui s'ouvre, et d'une seconde main qui donne à la première un sandwich. Toute la relation entre les deux personnages va s'articuler autour de cette scène. Chacune des journées particulières de cet amour particulier commence par ce geste. Ce geste contient déjà en lui le présage de la journée.
Dreyer pour Ordet - les dernières scènes évoquent ce film de façon évidente. Très, trop... La fille va voir sa mère pour se présenter à elle ressuscitée, la caméra la suit, ce qu'elle joue est incroyable, mais la caméra s'arrête aussitôt la fille rentrée chez elle. Ce qui se passe est tenu hors-champ. A la manière de certaines ellipses du film, il s'agit plus ici de procédé que d'intuition.
Pasolini pour L'évangile selon Matthieu - l'homme de Hors Satan est en de nombreux points semblables au Christ de Pasolini. Il porte sur son visage cet orgueil qui fait qu'on ne sait jamais s'il s'agit d'un enfant tentant de convaincre les autres qu'il a des pouvoirs magiques, ou bien de ce prophète et guérisseur en lequel certains croient au-delà de toute décence.

Alors, évidemment, après ça, on peut se demander s'il y a quelqu'un derrière la caméra. Qui est Bruno Dumont ? Il nous parle d'un amour fou, il nous parle de foi, mais on peine à dépasser l'artifice. Hors Satan a quelque chose d'artificiel. Pourtant un film de Bruno Dumont ne ressemble qu'à lui-même (alors qu'on pourrait facilement confondre un Reygadas avec un Zviaguintsev). C'est dire que malgré le poids des influences, le cinéaste a su développer quelque chose de très singulier : la direction d'acteurs. Elle est ici prodigieuse. Hadewijch était à mon sens plombé par une actrice en quête de reconnaissance. Dans Hors Satan, il n'y a rien de tel : qu'une sorte d'absolu, de goût pour l'absolu, s'exprimant dans l'inertie de visages qui ont pris la forme des paysages où ils vivent. Quelque chose de divin traversant les circonstances d'humains entravés par leur humanité. Les acteurs inventent des prières qui leur ressemblent, et tentent de réinventer l'amour et ses gestes.
Et puis il y a une scène. L'homme rencontre une femme de passage. Ils font l'amour. La scène de sexe se transforme en tout autre chose. Le film a basculé, pris des rythmes nouveaux, osé des trucs incroyables, imaginé qu'il pouvait avoir un propos que les maîtres n'ont pas tenu. Soudain, le film devient comme l'équivalent cinématographique d'un tableau d'Edvard Munch - bien plus que ça : il devient lui-même. Puis il retombe dans sa routine, dans sa monotonie prudente, cet en-deçà de lui-même.
Il y a de la prudence chez Dumont. On ne s'y ennuie jamais. Les plans sont efficaces. La narration plutôt habile. Mais ce sont toujours les mêmes quatre ou cinq plans répétés tout au long du film. Le plus terrible est de se rendre compte que le cinéaste a d'autres ambitions en réserve et les moyens pour les affirmer (cette scène de sexe nous le prouve).

Autre problème, relatif à l'ensemble des films de Bruno Dumont, mais qui m'est apparu très clairement pour la première fois ici : j'ai eu la sensation que le cinéaste distribuait les dialogues comme des bons points, que la parole, peu présente, prenait une place prépondérante, qu'elle pourrait être le Deus Ex Machina du film mais qu'elle n'advient jamais (un peu comme dans Lady Chatterley de Pascale Ferran, sauf que la parole, dans ce film, finalement surgit), et que si elle n'advient jamais c'est plus par choix (une apparence de radicalité) que par nécessité (c'est surtout avec soi-même qu'il faut être radical, pas seulement avec ses personnages).

J'aime bien Hors Satan, parce que son propos n'est pas aigre, pas réductible à quoi que ce soit, parce qu'il y a une ambition folle à chaque plan, parce que le film est beau, parce que les acteurs sont extraordinaires (c'est-à-dire que Dumont prend ce qu'il y a de divin en eux, de sublime, d'absolu, et l'inscrit, loin des photos Harcourt, dans la terre, dans le paysage, dans le corps, dans l'âpreté du lieu et la maladresse du squelette), mais surtout pour cette scène, inouïe, à la fin de laquelle une femme glisse dans l'eau comme un serpent, comme une vouivre, et sur laquelle je veux parier. Cette scène, ce sera la métamorphose du cinéma de Bruno Dumont, ou bien ce sera terminé.

6 commentaires:

asketoner a dit…

J'ai pris bien soin de ne pas parler des quelques scènes (moins nombreuses que dans Hadewijch ou dans Flandres, cela dit) catastrophiques où Dumont pose en cinéaste provoc, jus de chatte derrière les oreilles par exemple (que vient faire l'animalité - l'idée de l'animalité et sa représentation la plus convenue - dans cette histoire ???)

Anonyme a dit…

(Diaz)
Depuis 29 Palms, le cinéma de Dumont me paraît être un cinéma de poseur, recyclant à l'envi les mêmes tics de mise en scène et provoquant un ennui... un putain d'ennui ! La fille Coppola, elle aussi, capitalise de manière feignasse sur une marque de fabrique qui joue la carte peu subtilement arty de la distance. Je dois avouer ne pas m'être qu'ennuyer avec Somewhere. Vu le tedium enduré pdt les 3/4 de 29 Palms et l'intégralité du pitoyable Flandres, je vais encore passer mon tour sur celui-ci.

Anonyme a dit…

"ne pas m'être qu'ennuyé."
Ca m'apprendra à jouer les feignasses, moi aussi.

asketoner a dit…

Il y a quelque chose qui reprend (partiellement) vie ici. De là à s'y ruer, je ne sais pas. En tout cas, quelque chose échappe à la gentille moraline. Mais ce n'est pas encore tout à fait ça.

asketoner a dit…

C'était tellement beau, L'humanité et La vie de Jésus...

Anonyme a dit…

(Diaz ter)
Hé oui, c'était beau et c'était l'espoir enfin d'un cinéaste français qui allait nous emmener vers des terres neuves. 29 Palms sur le papier promettait également beaucoup : concilier l'"antifiction" d'un certain cinéma européen avec l'efficacité du cinéma US. Ce qui s'est passé ensuite...