vendredi 6 novembre 2009

Marseille - Angela Schanelec

Angela Schanelec essaime quelques indices. On ne sait jamais vraiment ce que Marseille raconte. On l'apprend, comme par surprise, au détour d'un dialogue. Il y a de la fiction qui surgit dans un temps qui n'est pas celui du récit, mais celui de la captation. On a l'impression que ce qui est raconté l'est par hasard, que des liens très secrets se tissent entre les images. Il n'y a pas de définition, il y a de l'attente. Une attente anxieuse qui tient le film et sa matière plutôt évanescente dans une énergie compacte. C'est une contemplation qui n'est pas molle - il y a des choix très clairs, sur le hors-champ notamment - mais dans ces choix il y a du temps et du mystère - il y a de la place.

Une fille arrive à Marseille. Une amie (on croit que c'est une amie, on apprendra plus tard qu'elles ne se connaissent pas) lui offre un plan. Elle est étrangère, elle n'a presque pas d'accent - elle vient d'Allemagne, on le comprend quand son amie lui chante une chanson en allemand. Elles ont échangé leur appartement.
Elle se retrouve seule dans cette ville qu'elle ne connaît pas (et elle dit cette chose très belle : "une ville qu'on ne connaît pas, ça ne veut rien dire"), elle l'arpente, elle la photographie, elle s'arrête aux endroits interdits. Elle se paie le luxe de l'errance, elle prend des bus jusqu'à leur terminus, elle achète de nouvelles chaussures.
Les achats sont les premiers liens qu'elle tisse avec la ville : des fruits, un café, des chaussures, louer une voiture. Alors il y a une rencontre : le garagiste, en face du marchand de fruits, peut lui en prêter une.
On ne sait pas pourquoi elle est là, ce qu'elle fuit, si elle fuit, ce qu'elle cherche, si elle cherche quelque chose - on sait juste qu'elle a une plante dans son appartement en Allemagne, et qu'elle voudrait que quelqu'un l'arrose.
Elle rend la voiture, le garagiste lui offre un verre, elle parle, il rit. "Tu as fait ce que tu as voulu ?", lui demande-t-il. "C'est seulement en le faisant que je me suis rendu compte de ce que je voulais." Là, un lien se crée. Elle ne marche plus seule, il la raccompagne jusque chez elle. Ce n'est pas une histoire d'amour, c'est quelque chose de plus flottant que ça : c'est une rencontre.
Du verre au bar, on passe à la fête. Quelqu'un lui pose des questions sur son appareil photo - des questions tellement précises, tellement matérielles, qu'elles semblent hors de propos. Ce n'est pas ce qui se joue ici. Ce n'est pas la question d'avoir un flash ou de ne pas en avoir, ce n'est pas la question de pouvoir prendre une photo dans un lieu obscur ou de ne pas pouvoir - il faut essayer, c'est tout. C'est plus simple que ce qu'on croit.
Et soudain, sans prévenir, le film redevient allemand - on le comprend à la langue, à la lumière aussi, moins cassante, moins poussiéreuse. On voit un enfant, une femme qui cherche un texte, une forêt, un train. On ne sait plus ce qu'on voit, qui sont ces gens - la cinéaste a pris le risque d'effacer tout ce que la première demie-heure de son film avait mis en place - ce sera à nous de reconnaître ce que l'on retient du voyage, comment le quotidien semble être contaminé par cet ailleurs découvert.
Sophie travaille pour ces personnes, garde l'enfant - à moins que cette femme ne soit sa soeur. Il y a des conversations où il est question du désir, et d'aller chercher l'enfant à l'école. Tout s'entremêle légèrement, gracieusement. Les grandes questions émergent au milieu des petites, mais elles sont mises sur le même plan, elles sont noyées.
Ensuite, il y a une séquence magnifique. Des ouvrières ou des employées s'assoient sur une chaise près d'une fenêtre, et quelqu'un qu'on ne voit pas les prend en photo. Il y a en a une qui est gênée, parce que sur son badge est écrit son vrai prénom, Desdemona, alors que tout le monde l'appelle Mona. Elle se demande si ce sera lisible sur la photo qu'on fait d'elle, et si Demi Moore s'appelle Desdemona. Il y a une ouvrière à laquelle le photographe demande d'enlever son bandeau, il y en a une autre qui est jalouse parce qu'il ne lui demande pas de l'enlever.
Ensuite, il y a encore un autre lieu, d'autres personnes - c'est une répétition d'une pièce de théâtre. On croit reconnaître la mère d'Anton. Dans son pays, on ne cesse de perdre Sophie, mais on la retrouve. Elle occupait le centre du cadre marseillais, elle se dissout en Allemagne - il y a une existence (des existences) qui la font ployer, se dissoudre dans l'image, dans les événements.
On pense à Tchekhov bien sûr, parce que l'enfant s'appelle Anton, mais aussi pour ce ton, dissimulé, léger, grave, profond, éclatant - tout à la fois. Il est d'ailleurs fait mention de Tchekhov. Anton parle de sa mère qui jouait dans un pièce où elle disait : "je suis une mouette" - et depuis il pense qu'il est possible pour un humain de devenir une mouette.
Je ne raconte pas la fin : le film dit soudain quelque chose de la fragilité qui m'a semblé bouleversant.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Un très beau film en effet. A voir seul évidemment.

JeanRZEJ a dit…

I had to translate your post, and a bit was lost in translation (perhaps fitting for the film), but I still love the way you can phrase a sensation. Truly an amazing film, one of my favorites.

asketoner a dit…

thank you. i've never been google-translated before. ihope it's full of funny stuff.
marseille is a beautiful movie and i missed the last one, orly, regretfully.

JeanRZEJ a dit…

Unfortunately, Google translate is pretty good and your writing style is fairly minimalist so the meaning usually comes across and there aren't too many funny phrases, just incorrect tenses and conjugation. As far as I know Orly only showed at festivals here, and I would have had to drive 2 and a half hours to see it, not counting Los Angeles traffic, so I didn't get the chance, either. Someday, hopefully.