jeudi 5 février 2009

The White Diamond - Werner Herzog



The White Diamond, dans la simplicité de son dispositif (c’est un documentaire, presque un reportage), est un film riche, profond, et bouleversant – sans doute la plus belle élégie qu’ait réalisée Werner Herzog.
Il échappe aux catégories herzogiennes citées plus haut – en vérité, il les contient toutes et les transcende : The White Diamond porte en lui l’hypothèse du film-crabe (une nouvelle folie du professeur Graham Dorrington, scientifique anglais dont les rêveries ont déjà causé la mort d’un homme à bord d’un ballon semblable ?), la démarche du film-ours (revenir sur les lieux de l’accident, conjurer le sort), et la pugnacité du film-oiseau (le sort ne sera pas conjuré par la parole, mais par l’action : Dorrington tentera un nouveau vol, à bord d’un nouveau ballon, au-dessus des canopées et des chutes Kaieteur en Guyane). Il s’agit donc d’un film-oiseau sur le retour, un geste à la primitivité retrouvée, un présent chargé d’un temps, d’une histoire, d’une blessure (Graham Dorrington pleure la mort de son ami, le documentariste Dieter Plage, dont on voit quelques extraits du travail, notamment quelques passages très impressionnants d’immersion en milieu gorille, pas très éloignés du travail de Timothy Treadwell vu dans Grizzly Man).

Derrière la cascade se niche une grotte immense, où vivent des milliers de martinets (on les voit rentrer le soir, passer en flux ininterrompu derrière la cascade, former une sorte de cascade horizontale s’incurvant autour de la cascade verticale – le plan est long, puissant, il s’incarne dans le temps, dans ce temps hors-norme propre à de nombreux plans des films du cinéaste, comme le torrent au début d’Aguirre, ou l’arbre à la fin de Pays du silence). Pendant les tractations, les errances et les hésitations autour de la conception du ballon, Werner Herzog part, à l’aide d’un alpiniste, filmer cette grotte dont jamais personne n’a rapporté d’image. Il veut en révéler l’intérieur, sujet à tant de mythes et de légendes. Mais sa rencontre avec le membre d’une communauté indienne, dont la culture est fondée sur le mystère de cette grotte, sera décisive : il choisira de ne pas montrer les images volées à ce lieu. Herzog renonce alors à ce qui a toujours été sa démarche : tracer des lignes dans l’espace, montrer ce qui n’a jamais été vu. Et tandis que Graham Dorrington s’obstine, le cinéaste renonce. De ce renoncement jaillit un élément nouveau : cette grotte non montrée crée un champ d’inconscient, un trou noir, autour duquel vont graviter les portraits de personnes magnifiques, les images d’animaux rares perchés dans les arbres, les paysages sublimes du torrent survolé sans bruit par le ballon – le cinéma de Herzog se fait soudain plus circulaire, plus contemplatif, plus méditatif, plus centré. Et la danse du jeune cuisinier au bord de la falaise, qui aurait été autrefois un moment de bravoure, valant pour sa spectacularité, sa bizarrerie, son immédiateté, trouve ici un accent presque JiaZhangKe-ien.

Graham Dorrington a l'aura du danger. Beau-parleur, excité, générant des flux oratoires brillants et enthousiasmants, il alarme soudain lors d’imprécisions techniques, de crises infantiles, et à la vue de ses deux doigts manquant à sa main gauche. Naïf, vrai moteur de l’aventure, si le film se bornait à cette seule figure, il ressemblerait à tous les autres films de Werner Herzog.
Mais The White Diamond bouleverse absolument lorsqu’il s’attache au portrait de Marc-Anthony Yhop, participant à l’expédition. C’est lui qui donne le titre au film : un diamant blanc, c’est l’image qui lui vient quand il regarde le ballon du professeur Dorrington. Son premier vol à bord du zeppelin est un moment de cinéma extraordinaire – il jouit totalement de ce voyage, mais, de retour à terre, il regrette de n’avoir pu amener son coq avec lui. L’homme à la barbe en forme de racines est assis au milieu de la jungle dans un fauteuil gonflable en plastique transparent. Il contemple le Diamant Blanc et rêve de retrouver sa mère, exilée en Espagne, qu’il n’a pas vu depuis plusieurs vies, dit-il. Nous parcourons la forêt avec lui, guidés par son parapluie, au pied des arbres géants, en quête de plantes aux vertus médicinales. Il nous invite à regarder la cascade, son reflet inversé, à travers une goutte d’eau.
Marc-Anthony est l’homme qui aide le film-ours à muer en film-oiseau. Il est l’agent de la métamorphose.

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