vendredi 16 avril 2010

Jean Rouch #1 : Au pays des mages noirs, Les magiciens du Wanzerbe, Circoncision, Bataille sur le grand fleuve & Yenendi, les hommes qui font la pluie

* Au pays des mages noirs de Jean Rouch (Niger, 1947 – 12 min – N&B)
* Les magiciens du Wanzerbe de Jean Rouch (Niger, 1949 – 33 min – N&B)
* Circoncision de Jean Rouch (Mali, 1949 – 15 min – couleur)
* Initiation à la danse des possédés de Jean Rouch (Niger, 1949 – 23 min – couleur)
* Bataille sur le grand fleuve de Jean Rouch (Niger, 1951 – 33 min – couleur)
* Yenendi, les hommes qui font la pluie de Jean Rouch (Niger, 1951 – 29 min – couleur)


Quand j'essaie de me souvenir des cours d'histoire-géographie portant sur l'Afrique, je ne revois que les mots esclavage, tiers-monde, migrations, famine, sida. Et quand je pense que nous avions, dès les années 50 (je n'ai pas encore vu les documentaires de Marcel Griaule qui datent eux des années 30) des documents de cette ampleur et de cette force, je me dis qu'il s'agit là purement et simplement d'un déni. Car le travail de Rouch n'est rien d'autre que la tentative incroyablement énergique de donner à l'Afrique quelques visages, et de donner à l'Europe l'occasion de les regarder. Il y avait là pourtant, pour les professeurs, de quoi susciter chez les élèves des interrogations, mais aussi des émotions, toute une grille nouvelle d'interprétation du monde et de l'activité humaine. (Et ce que j'ai pu lire dans les journaux ici et là ne vaut pas mieux.)

Il y a dans ces quelques films de Jean Rouch une dimension épique. Et ce sur plusieurs niveaux.
On imagine d'abord le temps que le cinéaste a dû passer pour que ces hommes se laissent filmer. On voit la lente progression de l'approche sur leur visage, de film en film, de l'inquiétude au sourire, et carrément jusqu'au don, jusqu'au partage d'une connaissance singulière, d'un secret. Non content d'assister aux rites (danse de possession, circoncision, divination, chasse à l'hippopotame), on assiste aussi à leur fabrication. Et c'est ce temps, cette approche, qui me semble être la base-même de toute tentative cinématographique digne de ce nom.
Epique aussi dans ce que ces films racontent. Qu'il s'agisse du combat haletant contre les hippopotames, ou de l'invocation de la pluie après la saison sèche, Rouch choisit toujours un angle d'attaque qui est celui de l'aventure ou de l'épreuve initiatique. Les personnages que nous voyons à l'écran sont initiés à un rite, et nous-mêmes, spectateurs, profitons de cette initiation, et la vivons comme tel. Rouch, au-delà de son commentaire (aussi sportif que scientifique), a un véritable talent de narrateur. Les cadres, le choix des musiques, le montage : tout concourt à la lisibilité la plus grande. Une fois que les nuages arrivent, à la fin de Yenendi, une euphorie géniale s'empare du film. La poussière soulevée par le vent et le ciel sombre nous laissent deviner des silhouettes courant de case en case. Les branches des arbres sont violemment secouées. L'eau vient enfin réparer la terre craquelée. Il y a là une forme d'apothéose absolument exaltante, tout aussi exaltante que la cloche qui finit par sonner à la fin d'Andrei Roublev, ou que la vache qui consent à donner du lait à la fin de La ligne générale.
Rouch ne se contente pas de décrire une communauté. Son regard s'arrête également sur quelques figures qui émergent. Qu'il s'agisse du joueur de calebasse repartant en barque sur le fleuve après la cérémonie, ou de la petite vieille courbée observant d'un oeil lointain le rite dont elle avait la charge avant de ne plus pouvoir travailler.

Rouch est la première personne (pas seulement le premier cinéaste) à me faire comprendre que l'Afrique existe.
Dans Les films rêvés de Pauwels, on voit que le cinéaste avait fait venir les Dogons à Paris, pour parader avec leurs masques au Trocadéro. Ce devait être un moment magnifique. J'aurais adoré y être.

2 commentaires:

w. a dit…

Ah, super. J'ai vu les quatre premiers moi-aussi...Je te recommande vivement de voir Les maîtres fous, si ce n'est déjà fait...C'est une autre vision, encore plus hallucinante, des états de transe montrés dans Au pays des mages noirs . Rouch était un géant.

asketoner a dit…

maintenant c'est fait !