vendredi 6 août 2010

Seven invisible men - Septyni nematomi zmones - Sharunas Bartas



Ils sont quatre, trois hommes et une femme, ils volent une voiture, et un soir, dans un bar, l'un d'entre eux s'enfuit avec la voiture et retrouve sa maison, sa femme et sa fille, et tous les gens qui y passent.
Il y a des dialogues, presque une histoire, des dialogues qui augmentent le mystère de ce qu'on voit, brouillent encore un peu plus les pistes, n'expliquent rien. Ils éclatent souvent de façon isolée - ce ne sont pas des brèves de comptoir, mais plutôt l'expression de l'entrelacs des vies et des humanités mises en présence, comme lors de cette fête qui finira mal. La parole ne résout rien - c'est un chaos supplémentaire (une preuve du chaos).
Si le début est un road-movie en Crimée, la suite, plus grégaire, plombée, caverneuse, révèle ce que Bartas sait faire de mieux : montrer des gens entre eux, réunir des présences, donner à voir des visages. La première partie embrasse l'univers, la seconde se concentre sur quelques êtres humains.
Ce que cherche Bartas, dans l'humain, dans la figure humaine, c'est l'animalité - ce qu'elle signifie de présence au monde, de rapport au temps et à l'espace. C'est aussi pour cela qu'il filme tant les animaux : il place la barre très haut, il dit à ses acteurs, "tu dois être aussi passionnant à regarder que ce dindon". Et ça fonctionne : ce qu'on voit, avant tout, avant les personnages, avant même les corps, ce sont les présences. Présences du monde et des êtres qui y vivent. Ils les laisse enfler, prendre du poids, de la gravité, puis les abat - fantômes, ils commençaient à hanter ce qu'il nous restait de vivant.


jeudi 5 août 2010

The house - A casa - Sharunas Bartas




Un film en forme de portrait chinois - si tu étais une maison, qui t'habiterait ? - formellement splendide, quelque part entre Andy Warhol, Annie Leibowitz et Jan Saudek. Le problème, par rapport à Saudek et Leibowitz, c'est qu'ici on a quelqu'un qui regarde, un intermédiaire évacuant les questions que de telles images pourraient nous poser, absorbant leur violence et leur sensualité. Tout se passe comme si Bartas n'avait pas assez cru à cette histoire de maison-monde, infiltrant dans ses visions un personnage sans nécessité, jouant constamment l'incrédulité, le désarroi ou l'hallucination, et minimisant ainsi les dimensions dédalesque et psychédélique sans fluo qui font la force du film. On ne peut pas se perdre dans The house, car un acteur joue cette perte pour nous. C'est cette dimension de découverte d'un monde à laquelle je ne crois pas du tout, car tout pourrait être là depuis des siècles et nous sauter au visage sans prévenir (vivre un peu plus, en fait, et moins poser).
Il y a aussi un tic dont je ne sais pas trop quoi penser : le moment musical à l'exact milieu du film, comme dans (tous?) les autres films de Bartas. Est-ce que c'est un repère temporel pour le spectateur, un point de rupture, un entracte, une trouée, ou bien est-ce que c'est parce que le matériau échappe au cinéaste (Saudek est quand même très présent) et qu'il cherche par tous les moyens à poser son empreinte ? Autre impression : ces moments musicaux sont comme des creux dans le film, comme si le film se repliait sur eux, et perdait de sa linéarité pour devenir rond, contenant - le film devient alors comme une boîte à musique, un coffre avec à l'intérieur quelque chose de très précieux et très rare, presque inaudible mais là. En écho, cette presque dernière phrase du film (le film est cerné par deux monologues) : "nous n'allons pas disparaître" - Bartas fabrique-t-il des capsules de survie à usage des gens qu'il aime ?
Enfin, que dire de Carax, Descas et Bruni-Tedeschi ? Si Carax s'amuse, son personnage n'est pas le plus passionnant. Quant aux deux autres, ils semblent s'ennuyer à mourir. Il faut dire que Valeria Bruni-Tedeschi n'avait jamais joué dans un film aussi sale (dans des films à partouzes, oui, mais toujours hygiéniques). Qu'est-ce qu'elle fait là ? La réponse est au début du film : Paulo Branco - le nom apparaît aussi gros que celui de Bartas - a produit le film (et, comme d'habitude, ankylosé un cinéma qui n'avait pas besoin de lui).





mercredi 4 août 2010

Achik Kerib - Sergei Paradjanov

C'est un film qui nous fait une fête, au sens canin du terme. Complètement bouffon, sans pour autant perdre en clarté, par rapport aux très sérieux Chevaux de feu. Le scénario est un haïku, et le reste est une question de couleurs et d'énergie. On assiste alors à des danses de douleur et d'amour, tandis que le poète s'initie au monde. Question de cadre aussi : tout se passe là, dans la limite du plan, et au-delà on devine le chantier. Paradjanov fait des films sans hors-champ. Il concentre. Il réunit ses forces, pour en une seule séquence, dire ce que c'est que vivre.
Etrangement, les films de Paradjanov sont très méditatifs. Ca chante, ça danse dans des costumes exubérants, ça passe d'un masque à un autre, mais il y a quelque chose d'extrêmement reposé, limpide, sur lequel on ne versera pas de larmes, mais plutôt une pensée. Tout est à la hauteur de ce dernier plan, hommage à son ami Tarkovski, où une colombe se pose sur une caméra : une forme de symbolisme enjoué, pas ténébreux, mais qui dit les ténèbres en riant profusément.

mardi 3 août 2010

Vingt jours sans guerre - Dvadtsat dney bez voyny - Alexei Guerman

Ca faisait dix ans que j'attendais ça : voir un autre film de l'auteur de Khroustaliov ma voiture.
Je suis un peu déçu mais pas découragé. Ce film-là sent l'adaptation littéraire, au sens d'un essai : le cinéaste s'applique à imposer son style à un matériau qui ne lui ressemble pas exactement, une histoire de guerre et d'amour, très mélancolique, qui fait penser à Un temps pour vivre un temps pour mourir de Douglas Sirk, trop loin de l'ordure délirante de Khroustaliov.
Evidemment on retrouve cette façon qu'a le cinéaste de faire dériver son récit en une myriade de mises en abîme sans lourdeur, sautant d'une catastrophe à un rêve, d'un sentiment à un visage, par des sons très purs extraits d'une matière chaotique. Mais là, quelque chose ne prend pas tout à fait, ou plutôt s'englue dans une somme de sentiments fictionnels pré-écrits et doit toujours recommencer à s'enrager.

lundi 2 août 2010

Tournée - Mathieu Amalric

Une idée pour Amalric : se dégager de la paresse ou façon française de faire du cinéma (donc de vivre, penser, regarder, comprendre le monde et le donner à voir). Fellini pour l'affiche, Cassavetes pour les interviews, en vérité le cinéaste a son monde à lui, trouvé je ne sais où, mais sans doute à un moment important de sa vie.
Dans le scénario c'est la même histoire : un retour en France, fort d'une étrangeté qui doit composer avec le Havre ou Nantes. Aux ports, sans atteindre Paris. On longe le pays par la mer, on rase les murs, et puis une nuit on file - c'est la partie la moins réussie du film, trop de fantasmes et de convenances.
Ce qui se passe dans l'image, c'est ce qui se passe dans le corps de ces femmes importées : une mutation, seule possibilité d'accomplissement - le trait grossi, on peut le transformer. Dans une très belle scène, il y a la répétition d'un côté, le badminton de l'autre - et Zand se détourne de ce qu'il ne peut plus voir, personnage qui ne veut pas en finir avec la lâcheté, et qui préférerait savoir où placer le courage.
Qu'est-ce qu'on fait avec un ballon, avec des plumes, avec des enfants, avec un amour ? Comment on s'en sort, de cette lourdeur d'existence et de corps ? Comment aussi on se méfie de l'émotion tout en y étant absolument - mais l'émotion vaut pour ce qu'elle est : un moteur comique. La vérité du film est ailleurs, dans la sortie des filles hors de la boîte pour chercher les pizzas, par exemple, scène où quelque chose de la France éclate soudain (nous apparaît).

dimanche 1 août 2010

Finis Terrae - Jean Epstein

La douleur est là partout dans ce qui se brise : vagues, bouteilles, rochers en aiguille. Il y a une plaie sur un pouce, de l'écume, des algues, de la fumée, le soleil dans chaque plan et l'océan qui scintille. Des visages noirs, deux bons copains qui s'engueulent pour une histoire de couteau, un dinoysiaque et un apollinien, un lutin et un héros. Et puis la solitude alors, rancoeur d'un côté, infection de l'autre - paysage pierreux, cosmos infernal, corps faibles ou immobiles. Ambroise traîne le morceau pourri d'un corps sur un morceau de roche étroit. Vers les terres il y a Ouessant, où les mères palpitent et où le bon docteur agit, figure barbue quasi-céleste.
Ce sont des images évidentes, qui disent tout tout de suite, habitées par un chagrin terrible, et mues par un sens élémentaire de l'aventure. Le chagrin d'une dispute et celui d'être loin, reclus, souffrant sans pouvoir le dire (pour cause de film muet).